L’affaire ne date pas d’hier. Le terrain a été minutieusement préparé
par l’artillerie du lobby des armateurs internationaux sur le thème « les
chargeurs surchargent les conteneurs au-delà des limites et ne déclarent pas
les poids des marchandises ainsi chargées ». Comprendre
: ils sont donc les seuls responsables des accidents maritimes, à commencer par la perte de conteneurs
en mer.
Dès 2006, l’avarie du MSC Napoli avait permis de pointer du
doigt les chargeurs. L’enquête menée alors par la MAIMB, le bureau d’accident
britannique, montrait que 20% des 660 conteneurs chargés en pontée présentaient
des différences avec les poids manifestés - parfois supérieur à 3 tonnes - mais
le rapport concluait que l’innavigabilité du navire, cause du sinistre, était principalement
due à une faiblesse de la coque précédemment endommagée lors d’un échouement,
un point passé sous silence par ceux-là même qui souhaitaient détourner les
regards sur les chargeurs pour cacher leur propre turpitude.
Cet angle d’attaque, contrebattu depuis plus d’un an par le lobby
maritime, a fini par trouver un écho favorable au sein de l’OMI (Organisation
Maritime Internationale), organisation entièrement dévouée aux intérêts
maritimes, qui a proposé récemment d’élaborer des « mesures visant à prévenir
les pertes de conteneurs par une modification de la convention SOLAS - Safety
Of Life At Sea - afin d’y intégrer une réglementation basée sur l’obligation reposant essentiellement sur le chargeur pour au choix
:
1. l’obliger à peser
chaque conteneur avant embarquement, dans ses locaux ou sur le terminal
portuaire (position WSC/US),
2. attester par un
certificat le poids total du conteneur par pesage ou par agrégation du
poids brut de la marchandise, du matériel de calage et de la tare en l’absence
duquel le conteneur ne serait pas chargé (position allemande).
Rien d’étonnant qu’une présentation aussi réductrice du problème
de la sécurité du transport des conteneurs, couplée à une solution aussi
partielle que partiale, n’ait pas réussi à dégager le consensus nécessaire pour
obtenir la modification voulue dans SOLAS. Les travaux vont donc se poursuivre
en 2013 et les chargeurs pourront y jouer pleinement leur rôle.
En effet, le sujet est d’importance et mérite un traitement
global et non partisan.
La solution proposée à l’OMI ne résout ni la question du
chargement, du calage et de l’arrimage des marchandises conteneurisées, ni la
question des surcharges frauduleuses ou non, pas plus qu’elle ne traite des
problèmes que posent la détermination du poids qui doit être déclaré par le chargeur
ainsi que le contrôle de la transmission de ces informations.
Ceci étant posé, personne ne contestera que les chargeurs ont leur
part de responsabilité pour améliorer la sécurité du transport en conteneurs,
et ce dès le stade de la conteneurisation de leurs marchandises. Trop souvent
encore dans les usines ou entrepôts, où le personnel de manutention est
fréquemment peu qualifié, « les chefs » pensent que le chargement d’un
conteneur s’effectue comme pour un camion et que la responsabilité de l’opération
incombe au transporteur.
Dès la réservation de fret, le chargeur se doit de veiller à commander
un conteneur dont les caractéristiques techniques correspondent au poids qu’il
entend y charger. La charge utile des conteneurs n’est pas une donnée fixe,
elle varie d’à peine 18 tonnes pour les équipements standards jusqu’à 30 tonnes
pour les conteneurs conçus pour transporter des charges lourdes. Les chargeurs
mais également leurs transitaires doivent être en mesure de contrôler cette
phase grâce à des procédures spécifiquement mises en place et sécuriser la phase
déclarative en s’assurant que, selon le transporteur choisi, la tare du
conteneur soit bien prise en compte sur le connaissement et/ou sur le
manifeste, celle-ci pouvant représenter 10 ou 15 % du poids total transporté.
Il n’est cependant pas question de se laisser entrainer vers une
obligation de précision au kilo près comme le réclame la proposition WSC/USA
déjà citée. Cela irait en effet à l’encontre de l’informatisation des processus
d’expédition et de facturation qui le plus souvent utilisent des tables de
données théoriques. Le poids à déclarer ne peut être qu’ « environ » et une
tolérance de 1 ou 2 % est incontournable.
Il est vrai également qu’entre la réservation de fret faite
avant le chargement effectif du conteneur, qui sert souvent pour réaliser le
plan d’arrimage, et le chargement proprement dit, le chargeur ou son agent peut
être amené à rajouter des marchandises à la dernière minute et cette
information trop souvent ne parvient pas suffisamment tôt à l’agent maritime
pour être prise en compte.
Il faut là encore regretter que la fermeture aux chargeurs des
systèmes informatiques portuaires de type « AP+ » organisée par les
transitaires portuaires à leur seul profit aille à l’encontre d’une gestion en
temps réel des flux d’informations maritimes et s’avère être un obstacle à
l’amélioration de la sécurité procurée par un traitement partagé de
l’information sans arrière-pensée mercantile.
En conclusion, réduire le problème de la sécurité des transports
de conteneurs à une simple question de déclaration de poids relève plus de la
caricature et de la mauvaise foi que de l’analyse objective mais le World
Shipping Council n’est pas à une exagération près, son statut de représentant
du monde maritime lui permet bien des outrances en lui ouvrant les colonnes «
acquises » d’une certaine presse spécialisée tout comme elle lui permet de
pousser les portes de l’OMI, toujours prompte à protéger le secteur maritime.
De leur côté, les chargeurs doivent travailler à améliorer leur processus
de façon à oeuvrer en faveur d’une plus grande sécurité de la chaine
logistique. Nous sommes prêts à en discuter avec toutes les parties prenantes :
transitaires, agents maritimes, opérateurs de terminaux… et même avec le WSC.
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